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Mon nom est Palestine
23 juillet 2020

L’ONU et les Palestiniens : de l’ambiguïté à l’impuissance

DOSSIER
Sandrine Mansour
p. 19-36
Résumé | Index | Plan | Texte | Notes | Citation | Auteur

Résumés

L’histoire de la Palestine est au cœur de l’histoire du droit international. Le conflit israélo-palestinien, né de la création de l’État d’Israël en 1948 et des différentes guerres israélo-arabes, a été l’occasion de nombreuses sessions de l’ONU, de nombreuses résolutions, sans qu’il y ait de solutions sur le terrain. Le plan de partage de l’ONU de 1947 n’a jamais été mis en application. Il s’agit dans cet article d’analyser pourquoi, après une période d’espoir, le conflit israélo-palestinien a abouti à une impasse et pourquoi l’ONU s’est révélée impuissante à y apporter une solution pérenne.

Texte intégral

  • 1 Le « mandat britannique sur la Palestine » a été institué par la Société des Nations au début du 20(...)
  • 2 L’Empire ottoman, qui avait tenté de se redresser économiquement au milieu du 19e siècle par des ré (...)

1L’origine de la question de la Palestine prend sa source dans la mise en place des mandats1 créés par la Société des Nations (SDN) à la suite du démantèlement de l’Empire ottoman2 et de son partage en zones d’influences entre la France et la Grande-Bretagne.

  • 3 La déclaration Balfour est une lettre ouverte présentée par Arthur Balfour, ministre des Affaires é (...)

2Si les événements qui ont précédé, et notamment la décision du premier congrès sioniste à Bâle en 1897 d’établir un foyer national juif en Palestine, ont été les bases du projet, la déclaration Balfour de 19173 a permis au mouvement sioniste d’obtenir l’appui dont il avait besoin pour que la présence juive en Palestine soit un droit et non une tolérance.

3En intégrant la déclaration Balfour dans le texte même du mandat sur la Palestine en 1922, la SDN n’a pas pris en considération les vœux de la population palestinienne exprimés lors des différents congrès européens où elle étaient représentée et lors de ses échanges avec les consuls européens, ce qui était déjà la non-application d’un de ses principes, à savoir l’accompagnement des populations jusqu’à la mise en place d’une nation indépendante.

4En 1945, lorsque la Grande-Bretagne remet son mandat à l’Organisation des Nations unies nouvellement créée, celle-ci est face aux conséquences liées à cette non-application : l’incompatibilité de deux promesses contradictoires, celle faite au mouvement sioniste par la déclaration Balfour et celle faite oralement aux Palestiniens d’une future autonomie dans un État indépendant, à l’image des États voisins.

5Ainsi naît la question de la Palestine.

La naissance de la « question de la Palestine »

6En réponse à cette situation créée par les grandes puissances de l’époque mandataire, l’ONU recommande le partage de la Palestine en deux États : un État juif et un État arabe, avec une union économique.

  • 4 La résolution 181 (II), votée par l’Assemblée générale le 29 novembre 1947.

7Une résolution du 29 novembre 19474 de l’Assemblée générale prévoyait un partage de la Palestine en huit parties : trois parties pour chaque État, la septième devant être l’enclave de Jaffa, comprise dans l’État arabe mais géographiquement placée dans l’État juif, et enfin la huitième, la région de Jérusalem en corpus separatum avec un statut international.

8La Grande-Bretagne devait avoir quitté les lieux au 1er août 1948, tout en libérant le 1er février le territoire alloué aux juifs, dont un port, afin de leur permettre d’accueillir une immigration importante. Durant la période de transition, qui débutait à partir du 1er novembre, les Nations unies devaient progressivement prendre en main l’administration afin de la rendre par la suite aux deux pays créés au jour de leur indépendance, qui devait avoir lieu au plus tard le 1er octobre 1948.

9Le vote du plan de partage n’a pas amené la paix dans cette région, bien au contraire. L’injustice faite aux Palestiniens était porteuse de l’échec des solutions proposées. En réalité, la résolution précitée de 1947 concrétise le projet sioniste et dans les faits entraîne ce « spatiocide ».

  • 5 Henry Laurens, La question de Palestine, tome 2, Paris, Fayard, 2002, 703 p.

10Le lendemain du vote de cette résolution est en fait le début d’une politique organisée de transfert de population par les milices juives présentes sur le terrain. Les populations palestiniennes commencent à errer sur les routes de l’exil, avec elles s’éparpillent les traces de ce qui fut un pays. La création de l’État d’Israël en mai 1948 le confirme. En l’espace de quelques semaines les Palestiniens se retrouvent en majorité être des réfugiés, qui sous la tente, qui dans un abri de fortune, qui dans des grottes, qui chez des cousins lointains dans les pays arabes voisins. La Palestine se vide en quelques mois de la majorité de ses habitants, confirmant le fait que le plan de partage est en réalité lié à « de grandioses plans de développement dont l’objectif fondamental est de procéder à un vaste transfert foncier en faveur de la communauté juive au détriment de la population arabe5 ».

  • 6 La résolution 194 (III), votée le 11 décembre 1948, fait suite aux préconisations du médiateur des (...)

11Le vote d’une nouvelle résolution le 11 décembre 19486 et la création de la Commission de conciliation aux Nations unies (CCNUP) ont pour but notamment de transformer les accords d’armistice signés au lendemain de la première guerre israélo-arabe (1948) en accord de paix et de trouver une solution « humanitaire » à la question des réfugiés. Les Nations unies, qui prennent conscience des injustices dont les Palestiniens sont victimes, décident de poursuivre leurs efforts. Mais les Palestiniens n’ont pas été entendus dans leur projet d’indépendance au moment des mandats, et la CCNUP privilégie les intérêts des États membres de la commission au détriment de solutions justes. En 1949, la Conférence de Lausanne va montrer que l’application des résolutions des Nations unies sera toujours un problème majeur.

La conférence de Lausanne

  • 7 Ilan Pappe, La guerre de 1948 en Palestine, aux origines du conflit israélo-arabe, Paris, La Fabriq (...)

12La première mission de la CCNUP est d’organiser une conférence qui se tiendra à Lausanne du 27 avril au 15 septembre 1949. C’est la première partie d’une série qui va jalonner toute l’histoire des relations israélo-arabes. Quatre États arabes y sont présents, ainsi que l’État d’Israël et des représentants des réfugiés palestiniens. Les États arabes se présentent sous une même bannière. Mais, contrairement aux accords d’armistice qui avaient permis de mettre face à face les négociateurs, la commission négocie cette fois séparément, tout en espérant que des contacts directs non officiels auront lieu. Ces discussions permettent de régler des questions propres à chacun des pays arabes concernés, mais elles laissent surtout Israël « éluder le problème des réfugiés dans les discussions bilatérales7 ». Déjà l’international est éliminé au profit de relations bilatérales, ce qui sera un choix constant d’Israël.

  • 8 Avi Shlaïm, Collusion across the Jordan : King Abdullah, the Zionist movement and the Partition of (...)

13Les États arabes sont encore sous le choc d’avoir réalisé qu’ils ont été battus. Les Israéliens, quant à eux, sortis victorieux de cette guerre, ne sentent pas la nécessité d’aller au-delà des accords d’armistice, qui finalement garantissent simultanément la fin de la guerre et une reconnaissance internationale8.

14L’objectif d’Israël dans cette conférence est d’obtenir son admission aux Nations unies. Deux courants se côtoient en Israël : un courant qui pense que sur le long terme Israël ne peut pas vivre isolé de ses voisins et qu’il faut par conséquent permettre une initiative de paix. Un autre courant, défendu par Ben Gourion, est persuadé que les accords d’armistice ont répondu aux problèmes et qu’il ne faut pas montrer de signe de faiblesse face aux États arabes en montrant une velléité de négocier. C’est ce deuxième courant qui l'emportera : Israël va désormais chercher à montrer qu’il veut la paix, mais une paix sans concession de sa part.

15Pour permettre de lancer les discussions sur des bases solides, la CCNUP propose un document qui sera connu sous le nom de « Protocole de Lausanne ». Signé le 12 mai 1949, il contient la reconnaissance du plan de partage comme base des discussions à venir. Ce document souvent méconnu est pourtant essentiel : il s’agit du premier protocole autre que les accords d’armistice, signé à la fois par Israël et les pays arabes (Égypte, Syrie, Jordanie, Liban), reconnaissant Israël dans ses frontières prévues aux termes de la résolution du 29 novembre 1947.

  • 9 Le Monde du 15 septembre 1949.

16La nouvelle est relayée par la presse9, avec un fort espoir d’une solution basée sur le droit international. La France a joué un rôle essentiel grâce à son ambassadeur à la CCNUP, Claude De Boisanger, « qui a pleinement rempli la mission de conciliation qui est celle de la France » en ayant permis « le 12 mai la signature d’un protocole capital. Arabes et Juifs acceptaient – en faisant toutes réserves sur la solution ultime du conflit – de reconnaître comme base de travail les frontières fixées à l’État juif par le plan de partage du 29 novembre 1947. Ainsi, pour la première fois, les Nations unies pourront disposer d’un document par lequel les bases territoriales de la discussion sont communes aux deux camps ».

  • 10 Neil Caplan, The Lausanne Conference, 1949. A Case Study in the Middle East Peacemaking, Tel Aviv, (...)

17Mais cette réussite sera de courte durée. Dans ce qui jalonnera les négociations israélo-arabes, toute la question des documents reposera, et jusqu’à ce jour, sur leur interprétation. En effet, Israël sait que les accords d’armistice lui donnent plus de territoires que le plan de partage de novembre 1947 et il n’a pas l’intention de s’en défaire. La signature du Protocole de Lausanne est uniquement pour lui l’occasion de montrer qu’il est bien disposé : une fois admis comme État membre, quelques heures après l’élaboration de ce document, Israël considère que c’était une erreur de le signer et va mettre en place une politique qui vise à ignorer le Protocole et à le considérer comme un document dénué de tout intérêt politique10.

18Il n’en demeure pas moins que le Protocole de Lausanne représente le premier texte officiel signé par les États arabes reconnaissant Israël dans ses frontières prévues aux termes de la résolution du 29 novembre 1947.

La naissance de l’UNRWA

  • 11 Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Ori (...)
  • 12 Milton Viorst, Reaching for the Olive branch. UNRWA and Peace in the Middle East, Washington, Middl (...)

19Le 8 décembre 1949 l’Assemblée générale des Nations unies vote une nouvelle résolution (302-IV) qui rappelle la précédente (194-III) et qui décide la création de l’UNRWA (United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East, en français : « Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient »)11 comme organe temporaire pour gérer la question des réfugiés. En quelque sorte, l’UNRWA catalyse l’histoire du Moyen-Orient, puisque sa mission englobe la situation des réfugiés sous tous ses aspects : éducation, santé, logement, emploi, statut, document de référence12.

  • 13 Sandrine Mansour-Mérien, L’histoire occultée des Palestiniens, 1947-1953, Toulouse, Privat, 238 p.
  • 14 Don Peretz, Palestinians, Refugees, and the Middle East Peace Process, Washington, United States In (...)

20Cette résolution établit un parallèle entre le statut de réfugié et le droit au retour. C’est pour cette raison que lors de la création du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR ou HCR) en 1950, les Palestiniens, étant protégés par l’UNRWA, seront exclus de son champ d’application13. La définition d’un réfugié pour l’UNRWA est posée dans ces termes : « Toute personne qui a eu sa résidence normale en Palestine au moins pendant deux ans avant le conflit de 1948 et qui, en raison de ce conflit, a perdu son foyer et ses moyens d’existence et a trouvé refuge en 1948 dans un des pays où l’UNRWA assure des secours14».

  • 15 Sami Hadawi, Bitter Harvest, Palestine 1914-1979, New York, The Caravan Books, 1979, 326 p.

21L’UNRWA entre en fonction le 1er avril 1950. Aucune solution politique n’étant trouvée, l’office va dépasser le terme de son mandat prévu pour un an. Il travaillera avec la CCNUP pour notamment évaluer les biens ayant appartenu aux réfugiés palestiniens. Ce travail, qui durera plusieurs années, sera finalement mis de côté. En fait, si Israël refuse le principe des compensations, c’est que les Israéliens ne veulent pas être considérés comme responsables de la situation des réfugiés. En même temps, ils pensent qu’accepter de verser cette compensation dans un fonds d’intégration permettrait de régler la question du retour des réfugiés, en négociant la compensation contre un non-retour définitif. Parallèlement, Israël met en place un arsenal juridique qui lui permet, contrairement à la garantie affirmée par la résolution 181 (II), de s’approprier les biens des réfugiés ayant fui ou ayant été expulsés, par la loi sur les biens des absents15.

22Le travail de la CCNUP se poursuivra jusqu’en 1966, accompagné de différents plans de résolution de la question des réfugiés, mais qui ne respectent pas les termes de la résolution 194 (III). L’échec de la CCNUP est donc double : pour les Palestiniens, elle n’a pas apporté de réponse politique à ce qui fut leur tragédie jouée sous les auspices des Nations unies, et elle n’a pas su répondre aux problèmes liés à la résolution, comme indiqué notamment dans le paragraphe 11 sur les réfugiés.

23Aujourd’hui, cette résolution est toujours en vigueur, votée et rappelée régulièrement, même si la CCNUP a été mise en sommeil depuis 1966. Demeure l’UNRWA, qui continue de représenter la tragédie palestinienne et aussi les droits des réfugiés, mais est affaiblie par manque de moyens et de perspectives politiques. Israël souhaite sa disparition, afin de ne pas avoir à reconnaître sa responsabilité dans la « Nakba », la « catastrophe » palestinienne. La décision américaine en septembre 2018 de couper les fonds américains à l’UNRWA est une menace grave pour cet organisme.

La guerre des Six Jours

  • 16 Nur Masalha, Ard Akhtar wa ‘arab aqal, Beyrouth, Institut des études palestiniennes, 1997, 331 p.

24Sur le plan international, la question de la Palestine a été pendant de nombreuses années uniquement considérée du point de vue « du problème des réfugiés », sans tenir compte de la réalité de l’identité palestinienne de cette région. Ce faisant, la non-application de la résolution 194 (III) par Israël, notamment sur les questions clés du statut de Jérusalem, du droit au retour et du droit à des compensations, ainsi que son rejet du Protocole de Lausanne, ont permis à la situation de se dégrader et à Israël de renforcer son potentiel afin de poursuivre le schéma voulu par le mouvement sioniste, à savoir « plus de terre et moins d’Arabes16 ».

25La guerre dite des Six Jours, du 5 au 10 juin 1967, concrétise ce dessein par une expansion des territoires occupés par Israël, au-delà de la Palestine. En quelques jours, son territoire est multiplié par quatre : occupation de la Cisjordanie, Gaza, Jérusalem, le Golan et le Sinaï. Cet objectif avait été élaboré dès 1917 par le mouvement sioniste dans un rapport remis à la France et à la Grande-Bretagne. Il demandait à obtenir ces territoires, y compris le Liban. Ce fut évidemment un refus de la part des deux grandes puissances, mais les guerres israéliennes depuis 1948 ont tendu vers ce projet d’expansion de territoire.

  • 17 Résolution 242 du Conseil de sécurité, 22 novembre 1967.
  • 18 Résolution 338 du Conseil de sécurité, 22 octobre 1973.

26Les deux résolutions du Conseil de sécurité qui suivent les conflits de 1967 et de 1973 (guerre d’octobre), 24217 et 33818, rappellent d’une part la nécessité du droit au retour des habitants qui ont fui en raison des combats, mais aussi l’inadmissibilité de l’acquisition de la terre par la force.

27La première résolution est en réalité ambiguë. En effet, un débat a eu lieu dans les semaines suivant la guerre pour la mention des territoires occupés. Finalement, face aux pressions américaines, il n’en sera rien, la notion de « territoires » laissant une nouvelle fois la possibilité d’une interprétation qu’Israël ne manquera pas d’utiliser.

28Si l’ONU pensait que cette résolution servirait de base à de futures négociations en vue de la paix, elle ne mentionnait pas la Palestine, laissant encore le sujet comme étant celui des réfugiés. D’autre part, en demandant à Israël de se retirer des territoires occupés avant la guerre de 1967, elle acceptait implicitement l’occupation des territoires conquis par Israël en 1948, en contradiction avec la résolution du plan de partage.

29La Syrie et l’Irak rejetteront cette résolution pour ces raisons, tandis que l’Égypte et la Jordanie demanderont que le retrait de tous les territoires occupés lors de la guerre de 1967 soit effectif. Israël refusera, arguant que le retrait ainsi que la question des réfugiés seraient discutés dans des négociations directes, sans les États arabes.

Deux nouvelles justifications du fait accompli

30À la suite de la guerre de 1967, Israël aura recours à deux justifications pour établir un fait accompli sur les territoires nouvellement occupés. Tout d’abord, l’invocation de la « sécurité » mentionnée dans la résolution 242 : Israël dit avoir besoin de garder le contrôle sur les territoires acquis par la force. Cette justification reste encore de mise aujourd’hui.

  • 19 Edward Saïd, The question of Palestine, London, Routledge & Kegan Paul, 1980, 273 p.

31Afin d’empêcher toute restitution des territoires conquis, Israël se lance très rapidement dans une politique de colonisation. L’absence de prise en considération de l’identité palestinienne des territoires de Cisjordanie, de Gaza et de Jérusalem-Est, facilitera la tâche. Désormais, Israël lance des projets de peuplement et utilise ces territoires palestiniens comme ressource de main-d’œuvre bon marché, sans garantir aux travailleurs des droits politiques ou économiques. Ces territoires deviennent des « satellites économiques d’Israël19 ».

  • 20 Bichara et Naïm Khader, Textes de la révolution palestinienne, 1968/1974, Paris, Sindbad, 1975, 350 (...)

32La réponse palestinienne est d’abord politique. L’OLP (Organisation de libération de la Palestine), créée en 1964, réaffirme lors de son conseil national en juillet 196820 la nécessité de continuer la lutte pour les droits du peuple palestinien, face à l’incapacité de la communauté internationale de prendre ses responsabilités. Car malgré des votes annuels de l’Assemblée générale rappelant la validité de la résolution 194 (IV), les droits et l’identité des Palestiniens en tant que tels demeurent sans application.

Une première reconnaissance du peuple palestinien

33L’ONU constate le 10 décembre 1969 :

  • 21 Résolution 2535 (XXIV) de l’AGNU, 10 décembre 1969.

« que ni le rapatriement ni l’indemnisation des réfugiés prévus au paragraphe 11 de la résolution 194 (III) de l’Assemblée générale n’ont encore eu lieu, qu’aucun progrès notable n’a été réalisé en ce qui concerne le programme de réintégration des réfugiés, soit par le rapatriement soit par la réinstallation, programme que l’Assemblée générale a fait sien au paragraphe 2 de sa résolution 513 (VI), et que de ce fait, la situation des réfugiés continue d’être un sujet de grave préoccupation. »21

34Dans cette même résolution, et pour la première fois, la notion de peuple de Palestine est soulignée.

35Il aura fallu attendre 52 ans après la déclaration Balfour, où la seule mention était celle du peuple juif et où les Palestiniens étaient réduits à être représentés comme les « communautés non juives en Palestine », puis plus tard comme des réfugiés ou des personnes déplacées, pour que la mention de « droits inaliénables du peuple de Palestine » apparaisse. Cependant, la formulation de la résolution qui contient cette nouvelle mention est celle de l’UNRWA, tandis que toute autre mention de cette question de Palestine figure dans les dossiers comme « La situation au Moyen-Orient ».

36La reconnaissance de la question de Palestine ne sera confirmée que lors de la réception de Yasser Arafat à l’ONU le 13 novembre 1974, suite à la demande de 56 États d’inscrire la question de Palestine à l’ordre du jour. Arafat prononce », sous les ovations de la salle, un discours dans lequel une phrase deviendra célèbre : « Je suis venu aujourd’hui avec un rameau d’olivier et un fusil de révolutionnaire. Ne laissez pas le rameau tomber de ma main. Je répète : ne laissez pas le rameau tomber de ma main »22.

37Quelques jours plus tard, le 22 novembre 1974, l’Assemblée générale vote la résolution 3237 (XXIX) qui admet l’OLP comme observateur de l’ONU.

Une période d’espoir : 1975-1991

38Cette période se situe après l’offensive d’octobre 1973, où les pays arabes tentèrent de reconquérir leurs territoires par les armes, faute d’une solution par la diplomatie. Comme tout mouvement de libération nationale, c’est par la résistance armée et l’action diplomatique que la direction de l’OLP s’est imposée comme un interlocuteur majeur de la région, ce qui lui a valu une reconnaissance internationale. Le discours de Yasser Arafat à l’ONU s’est inscrit dans un contexte plus général de revendications arabes, et palestiniennes en particulier, renforcées. Elle est marquée par une prise de conscience face au colonialisme, au néocolonialisme et à l’impérialisme, tous liés à une idée majeure non exprimée jusque-là, celle du racisme, à la fois des droits à la lutte contre les phénomènes de racisme et du droit à l’autodétermination.

39Ainsi deux résolutions, 3377 (XXX) et 3378 (XXX), du 10 novembre 1975, prévoient l’organisation de la première Conférence mondiale de la lutte contre le racisme et la discrimination raciale, qui se tiendra à Genève du 14 au 25 août 1978. La prise de conscience de ces phénomènes émerge surtout à l’initiative des pays africains et du monde arabe. Les uns dénoncent l’apartheid, les autres le sionisme. Si la question du sionisme est d’abord secondaire, la question du racisme sous toutes ses formes est mise au cœur de la réflexion.

40Finalement, la résolution 3379 (XXX) intègre le sionisme comme phénomène de racisme, à l’image de l’apartheid, rappelant une résolution de 1973 :

« Rappelant également que, dans sa résolution 3151 G (XXVIII) du 14 décembre 1973, l’Assemblée générale a condamné en particulier l’alliance impie entre le racisme sud-africain et le sionisme, (…) considère que le sionisme est une forme de racisme et de discrimination raciale. »

41Toutefois cette résolution a été annulée par une autre résolution (4686 du 16 décembre 1991), sous pression d'Israël, comme préalable aux discussions de Madrid. Ces diverses résolutions en suivent une autre, fondamentale, votée lors de la même session de l’Assemblée générale, 3376 (XXX), pour la création du Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien.

42Enfin, la question arrive à un stade de reconnaissance et bénéficie d’une attention qui ne cesse de croître, faisant apparaître la nécessité de régler la question du peuple palestinien pour que la paix revienne au Moyen-Orient. À partir de ce 10 novembre 1975, cette question est au centre des préoccupations de l’ONU, comme jamais auparavant.

  • 23 Ce comité a été créé suite au vote à l’Assemblée générale de la résolution 3376, le 10 novembre 197 (...)

43L’Assemblée générale soutiendra les recommandations faites par le Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien23, réitérant l’intérêt majeur de trouver une solution à la question de Palestine, réaffirmant l’inadmissibilité de l’acquisition de territoires par la force (rappelé notamment après l’invasion israélienne de 1982), exigeant le retrait des territoires palestiniens et autres territoires arabes occupés par Israël en 1967, y compris Jérusalem, et rappelant le droit des Palestiniens à l’autodétermination et à établir un État arabe indépendant. L’OLP de son côté déclarait en 1983 être prête à coopérer avec les Nations unies dans le cadre des résolutions et appelait à l’organisation d’une conférence internationale, sous les auspices des Nations unies, avec les deux grandes puissances.

44Cette conférence a lieu à Genève du 29 août au 7 septembre 1983, et met en avant un nouveau facteur jusque-là non pris en compte : le facteur du temps. L’accélération de la colonisation dans les territoires occupés, la persistance des zones de tensions au Moyen-Orient et la récurrence de la question de Palestine ajoutent des difficultés.

45Cette conférence a attiré l’attention de la communauté internationale et s’est traduite par l’adoption de la déclaration de Genève sur la Palestine, qui posait les lignes pour une concertation internationale, soulignait les obligations et les responsabilités des membres des Nations unies et du système général onusien, ainsi que le rôle intergouvernemental nécessaire, de même que celui des ONG pour renforcer la conscience de la question fondamentale du problème du Moyen-Orient. Cependant, les différents rapports de l’ONU soulignent la permanence du non-respect des droits humains par Israël dans les territoires occupés, la poursuite de la colonisation et l’acquisition de terres par la force.

46La dégradation des conditions de vie pour les Palestiniens et l’absence de solution réelle, malgré les avancées en termes de reconnaissance, aboutissent à la montée d’une certaine exaspération de la population. En 1987, 70 ans après la déclaration Balfour, 40 ans après le vote du plan de partage par l’ONU et 20 ans après la guerre des Six Jours, Israël poursuit sa politique coloniale et les espoirs d’une solution négociée s’amenuisent face à une situation sur le terrain qui devient de plus en plus difficile à vivre pour tous les Palestiniens, y compris ceux d’Israël dont l’inégalité de traitement reste très forte.

47L’intifada (« soulèvement ») qui surgit début décembre 1987 en est le reflet. Ce soulèvement populaire, qui n’est pas sans rappeler celui de la grande révolte de 1936, est suivi de nouvelles résolutions du Conseil de sécurité qui rappellent l’obligation pour Israël de se conformer à la Convention de Genève pour la protection des civils en temps de guerre, applicable aux Palestiniens ainsi qu’aux territoires occupés par Israël, depuis 1967, y compris Jérusalem.

48La Palestine revient au cœur des débats onusiens au cours de l’année 1988. Les États-Unis interviennent auprès du Secrétariat général des Nations unies pour faire interdire la présence de l’OLP en son sein. C’est le début d’une vaste offensive qui durera plusieurs années. L’objectif est double : continuer une répression féroce contre le soulèvement en Palestine occupée et saborder toute diplomatie palestinienne menée par son représentant l’OLP, et notamment par l’assassinat de plusieurs personnalités politiques palestiniennes.

  • 24 Bichara et Naïm Khader, op. cit.

49Sur le front de la diplomatie et face aux pressions importantes faites sur elle, l’OLP clarifie ses positions. Par la voix de son porte-parole, Bassam Abu Sharif, elle se dit prête à des négociations directes avec Israël et accepte les résolutions 242 (1967) et 338 (1973) dans le cadre d’une résolution des Nations unies reconnaissant le droit des Palestiniens, tout en ajoutant que l’OLP est prête à mettre les territoires occupés sous protection internationale et à instaurer toutes les garanties nécessaires pour la sécurité de tous les pays de la région, y compris la Palestine et Israël24.

50Un élément fondamental survient également en cette année 1988 : la Jordanie décide le 31 juillet d’abandonner sa gestion de la Cisjordanie et de Jérusalem, reconnaissant qu’il existe une identité palestinienne à ces territoires et que les Palestiniens seront soutenus dans leur action diplomatique en vue de leur indépendance.

51Cette annonce est suivie d’un événement historique : lors de la 19ème session du Conseil national palestinien, tenu à Alger du 12 au 15 novembre 1988, le comité politique affirme que l’OLP est déterminée à atteindre une solution politique du conflit israélo-arabe, et notamment de la question de Palestine, dans le cadre légal de la Charte des Nations unies, des principes du droit international, des règles du droit international, des résolutions des Nations unies. Il demande à cet effet le retrait d’Israël de tous les territoires palestiniens et arabes qu’il a occupés depuis 1967, y compris Jérusalem, et déclare la création et l’indépendance de la Palestine dans ces territoires, avec Jérusalem-Est comme capitale.

  • 25 Discours de Yasser Arafat, président de l’OLP, devant l’Assemblée générale.

52Quelques jours plus tard, Yasser Arafat réitère ces propos devant l’Assemblée générale, dans l’objectif d’un plan de paix, et demande la mise sous protection internationale des territoires palestiniens, « sur la base des résolutions 242 (1967) et 338 (1973), pour garantir l’égalité et l’équilibre des intérêts, en particulier le droit de notre peuple à la liberté et à l’indépendance nationale, et pour le droit de toutes les parties du conflit à exister en paix et sécurité25 ».

53Ces déclarations sont saluées par les membres et permettent l’ouverture d’un dialogue officiel avec les États-Unis, rompu depuis très longtemps. Ainsi, le président américain Ronald Reagan déclare dès le lendemain de l’allocution d’Arafat :

« L’Organisation de libération de la Palestine a fait une déclaration aujourd’hui, dans laquelle elle accepte les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies 242 et 338, reconnaît le droit à exister d’Israël, et renonce au terrorisme. Celles-ci ont longtemps été nos conditions pour un dialogue substantiel. Elles sont désormais réunies. C’est pourquoi j’ai autorisé le département d’État à entamer un dialogue substantiel avec les représentants de l’OLP ».

54En fait, les pressions faites dans ce sens par les Américains sont à double tranchant : en faisant cette déclaration, Yasser Arafat utilise le mot « terrorisme » en lieu et place de résistance armée, transformant la lutte de résistance palestinienne pour l’autodétermination en une lutte terroriste, ce qui n’est pas conforme à la réalité vécue par le peuple palestinien ni à la vérité historique du mouvement de libération de la Palestine.

55En cette fin d’année 1988, de larges progrès semblent avoir été faits à la fois pour la reconnaissance des droits des Palestiniens, pour un plan de paix conforme aux résolutions onusiennes et pour la mise en place d’une solution au conflit israélo-arabe. Israël apparaît isolé. Le poids grandissant des Nations unies permet d’envisager la mise en place d’une conférence internationale sur le Moyen-Orient, sous les auspices des Nations unies, avec toutes les parties liées. Cependant, malgré les efforts du Conseil de sécurité, de l’Assemblée générale, du Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien et d’autres organes des Nations unies, ainsi que des organismes intergouvernementaux à travers le monde, cet élan est resté sans succès.

56L’occupation du Koweït par l’Irak en 1990 et la guerre du Golfe de 1991 qui en découle vont modifier les rapports et notamment la place de l’ONU dans ce conflit.

De la conférence de Madrid (1991) à nos jours

57Les changements politiques qui interviennent aussi bien aux États-Unis (élection de George H. W. Bush à la présidence) qu’en Israël (Yitzhak Shamir, Premier ministre), renforcent les liens entre les deux pays dans une tendance unilatérale avec une vision géopolitique qui tend à ignorer le rôle des Nations unies.

58La fin de la guerre froide, initiée par Mikhaïl Gorbatchev devenu secrétaire général du parti communiste de l’Union soviétique en 1985, est officiellement déclarée en 1991, quand Gorbatchev démissionne le 25 décembre et que l’URSS disparaît au profit de la Fédération de Russie. Les accords signés durant ces années entre les États-Unis et l’URSS pour mettre fin à la course aux armements redessinent les rapports de force dans le monde avec des conséquences pas toujours heureuses.

59La guerre du Golfe laisse aux États-Unis une place de leader unique sur la scène internationale, au lendemain de l’occupation du Koweït par l’Irak. La coalition menée par les États-Unis leur donne un nouveau sentiment de puissance. Le parallèle qui va être fait entre l’occupation du Koweït et l’occupation de la Palestine, par les populations et certains États arabes, et la non-intervention en ce qui concerne la Palestine encourageront à une action de la part des Occidentaux. En réalité, les États-Unis prennent la main sur le dossier et décident de convoquer la conférence de Madrid en octobre 1991, ne laissant qu’une place très limitée aux Nations unies et devenant, de fait, les médiateurs. La Conférence internationale pour la paix au Moyen-Orient, qui devait avoir lieu sous l’égide des Nations unies, se réduit à une conférence dont l’agenda est dicté par les Américains et les Israéliens. La première chose qu’exigent les Israéliens est l’abrogation de la résolution de 1975 assimilant le sionisme au racisme et le retrait de toute mention de la résolution 194 (III), ce qui est fait le 16 décembre 1991 par la résolution 46/86.

60Ce tournant va considérablement transformer les événements du point de vue de l’ONU. Les États-Unis initient les négociations qui seront connues sous le terme de « processus de paix », sans définir le mot paix lui-même. Les Accords d’Oslo, signés en 1993 à la Maison-Blanche par l’OLP et Israël, confirment la question de l’interprétation dans un contexte délibérément flou, dans le sens comme dans le temps.

61Pour les Palestiniens, ces accords portaient l’espoir de voir enfin un État émerger conformément aux souhaits du CNP de 1988. Pour les Israéliens, la suite le confirmera, il s’agissait de calmer les revendications palestiniennes, dont l’intifada était une manifestation populaire, et de poursuivre sur le terrain l’occupation du territoire. Le découpage en trois zones (A, B et C) permettant d’instaurer un contrôle plus fort du territoire et le délai fixé à 5 ans pour parvenir à une solution définitive leur donnaient le temps nécessaire pour acter cette politique.

  • 26 Le mur qui se construit en Palestine a été présenté par le gouvernement israélien comme une réponse (...)

62La mise en place de l’Autorité palestinienne, qui portait l’espoir des prémices d’un État à part entière pour les Palestiniens, a simplement permis de donner aux Palestiniens la gestion de ce territoire, sous entière surveillance israélienne et américaine. Ce n’est pas un hasard si la majorité du territoire était comprise dans la zone C, sous contrôle total israélien. Ainsi, par la progression de la colonisation, la mise en place de routes interdites aux Palestiniens pour relier les colonies à Israël et la construction du mur26 en majorité sur le territoire palestinien, les Israéliens ont conforté leur présence au sol, tout en cantonnant la population palestinienne dans trois zones encerclées en Cisjordanie et dans Gaza, dont le territoire a été réduit et continue de l’être à chaque offensive israélienne.

63Les Palestiniens savent qu’ils sont bloqués à l’ONU par le veto américain systématique. L’établissement de l’Autorité palestinienne en 1994 ne suffit pas à garantir aux Palestiniens le recours aux instances de l’ONU, puisque cette autorité n’est pas un État reconnu.

64En mars 2002, après de nombreux votes du Conseil de sécurité face à la dégradation de la situation en Palestine, il conçoit une « feuille de route » élaborée par le « quatuor » (États-Unis, Union européenne, Fédération de Russie et ONU) pour réaliser la possibilité que deux États vivent côte à côte dans des frontières reconnues. Mais malgré des efforts diplomatiques, la situation n’a pas changé, Israël maintenant sa politique de colonisation.

65Face à cette impasse, l’OLP saisit la Cour internationale de justice (CIJ) au sujet de l’illégalité de la construction du mur. Cette dernière, qui n’a autorité que pour des États, accepte néanmoins d’instruire le dossier. Il s’agit d’un élément important, portant reconnaissance du territoire de la Palestine comme État. La CIJ rend un avis consultatif en date du 9 juillet 2004 sur les « conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé ». Malgré la reconnaissance de l’illégalité juridique de la construction du mur, rien ne sera fait par les États qui ont voté cet avis pour effectivement empêcher et interdire sa construction, en dépit d’un vote par le Parlement de l’Union européenne confirmant cet avis. Israël n’a jusqu’à présent rendu aucun compte sur la poursuite du projet qui vise à accaparer, sous le prétexte de la sécurité, plus de terres et de réserves aquifères, tout en poursuivant l’encerclement des Palestiniens. L’offensive meurtrière contre Gaza en 2008-2009 montre une nouvelle fois l’impuissance des Palestiniens.

66En 2011, l’Autorité palestinienne demande à l’ONU d’enregistrer l’État palestinien. Par le veto américain et les pressions exercées par les États-Unis sur les instances de l’ONU, la demande n’aboutit pas. Pour l’Autorité palestinienne, il s’agit de ramener le dossier au sein de l’ONU. Depuis Oslo, les Américains ont largement montré qu’ils n’étaient pas des intermédiaires neutres et que leur intervention visait essentiellement à soutenir le projet israélien. L’arbitrage américain n’existe pas.

67Finalement, en 2012, l’Autorité palestinienne demande la reconnaissance de la Palestine comme État observateur non-membre. Si cela ne donne pas la même force que celle de la reconnaissance d’un État, cela lui permettra d’accéder à des instances de l’ONU et de les saisir, notamment sur les questions de crimes de guerre.

68Le 29 novembre 2012, soit 65 ans après le vote du plan de partage, la Palestine est admise comme État observateur non-membre de l’ONU par le vote de l’Assemblée générale n° 67/19, avec 138 voix pour, 9 contre et 41 abstentions. Il est intéressant de noter qu’au sein des pays membres de l’Union européenne, la division sur cette question est apparente : 14 ont voté pour, dont la France, un contre (la République Tchèque) et 13 se sont abstenus, dont le Royaume-Uni et l’Allemagne.

Des décisions américaines de plus en plus marquées

  • 27 L’imbrication des trois zones rend quasi nulle une souveraineté réelle, même sur les zones A et B. (...)

69Malgré ces avancées juridiques notables, le blocage reste total. Les Palestiniens voient leur territoire diminuer. Oslo est définitivement enterré, Israël occupe la zone C (62 % de la Cisjordanie) de manière unilatérale. La souveraineté de l’Autorité palestinienne sur les zones A et B est très limitée27 et finalement cette Autorité joue le rôle de gardien pour Israël. L’offensive contre Gaza en 2014, avec la volonté d’étouffer la population palestinienne, montre qu’Israël ne tolérera aucune avancée dans la création d’un État palestinien dans des frontières reconnues.

  • 28 Résolution 2334 (2016).

70Le 23 décembre 2016, le Conseil de sécurité vote une résolution forte28, adoptée par 14 voix pour et une abstention – les États-Unis – et exigeant qu’Israël arrête « immédiatement et complètement » toutes ses activités de peuplement dans le territoire palestinien, y compris Jérusalem-Est. Il souligne qu’il ne reconnaîtra « aucune modification aux frontières du 4 juin 1967 », y compris en ce qui concerne Jérusalem, et exige qu’Israël arrête « immédiatement et complètement » toutes ses activités. C’est la première fois que le Conseil de sécurité est aussi clair et aussi ferme.

71La conférence de Paris pour la paix au Proche-Orient, organisée le 15 janvier 2017, réitère l’importance de la résolution 2334 (2016). Cependant, elle reste sans suite et le bras de fer entre l’ONU et les États-Unis sur la question de la Palestine se poursuit.

72Le 6 décembre 2017, le président américain Donald Trump reconnaît Jérusalem comme capitale d’Israël, au mépris de toutes les résolutions de l’ONU. Une tentative de vote au Conseil de sécurité est rejetée par le veto américain. L’Assemblée générale vote le 21 décembre 2017, dans une session extraordinaire d’urgence, une résolution dans laquelle elle considère comme « nulle et non avenue » toute décision ou action susceptible de modifier le « caractère, le statut ou la composition démographique » de Jérusalem (par 128 voix pour, 9 contre et 35 abstentions)29.

L’application du droit international : un impératif

73La question de la Palestine a été posée lors de la première session extraordinaire de l’Assemblée générale de l’ONU ouverte le 28 avril 1947 à la demande de la Grande-Bretagne. Cette session a décidé la création de la Commission spéciale des Nations unies sur la Palestine pour enquêter sur la situation, et dont les travaux se sont achevés le 31 août 1947 dans le contexte suivant :

  • 30 Résolution ES.10/19 de l’Assemblée générale de l’ONU, 21 décembre 2017.

« Si les organisations juives ont coopéré aux délibérations de la Commission spéciale, les dirigeants palestiniens de la Commission suprême arabe ont décidé, eux, de ne pas y prendre part, faisant valoir que l’ONU avait refusé d’examiner la question de l’indépendance et n’avait pas dissocié le problème des réfugiés juifs d’Europe de la question de Palestine. Selon la Commission suprême, les droits naturels des Arabes palestiniens étaient évidents, devaient être reconnus et ne pouvaient pas continuer à faire l’objet d’une enquête. Les dirigeants juifs, pour leur part, ont soutenu devant la Commission spéciale que les questions liées à la création d’un État juif en Palestine et à une immigration sans restriction étaient liées de manière indissociable. Les Arabes, désormais représentés par la Ligue arabe plutôt que par la Commission suprême arabe, ont demandé la création immédiate d’une Palestine indépendante à l’ouest du Jourdain. » 30

74Les grandes puissances de l’époque ont été responsables de la création du « problème de Palestine », en ne respectant pas la promesse faite aux Palestiniens de création d’un État indépendant et en se servant de la Palestine pour gérer la question juive, question éminemment européenne. Dans le résumé qui est donné sur le site des Nations unies31 de cette première session, ce lien de cause à effet a été renouvelé en ne tenant compte ni de la réalité du terrain ni des demandes légitimes du peuple palestinien.

75Malgré les avancées en termes de droit international depuis 1947, malgré la reconnaissance après de longues années de luttes diplomatiques et de résistance, la question de la Palestine demeure un des points essentiels toujours non résolu. En 1917, un ministre britannique, Lord Balfour, cédait à une population européenne un territoire qui ne lui appartenait pas. En 2017, un président américain cède à un tiers, Israël, une ville qui ne lui appartient pas. Si aujourd’hui l’horizon semble très sombre lorsque nous considérons la situation sur place, nous pouvons dire que la question de la Palestine sert de révélateur. Les grandes démocraties de la planète, présentes aux Nations unies pour défendre sa Charte et les valeurs des droits humains, n’ont pas appliqué cette charte pour tous, et notamment pas pour la Palestine. L’ONU en réalité pâtit d’un manque de force pour appliquer ses résolutions. Pour permettre au droit international d’être effectif, il faudrait qu’elle dispose d’un organisme exécutif, ce qui n’est toujours pas le cas. Cependant, les forces de maintien de la paix des Nations unies (souvent appelées « casques bleus ») n’ont qu’un pouvoir limité. Mais même leur présence a été refusée aux Palestiniens qui la demandaient.

76Le non-respect du droit pour les Palestiniens est un risque de non-respect ailleurs. Il est donc urgent que les nations qui se sont unies autour de la justice et de la dignité humaine mettent en pratique leurs engagements, et parmi eux celui de mettre en place une force d’interposition internationale, pour protéger la population palestinienne d’Israël et accompagner les Palestiniens dans l’établissement de leur État, conformément à leurs souhaits.

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Notes

1 Le « mandat britannique sur la Palestine » a été institué par la Société des Nations au début du 20e siècle, afin d’administrer les territoires non autonomes après la chute de l’Empire ottoman. La puissance mandataire, nommée par un organisme international, devait considérer le territoire sous mandat comme une charge temporaire, avec pour but de se consacrer au bien-être et au développement de sa population. En juillet 1922, la Société des Nations confia à la Grande-Bretagne le mandat sur la Palestine.

2 L’Empire ottoman, qui avait tenté de se redresser économiquement au milieu du 19e siècle par des réformes (Tanzimat), poursuit son affaiblissement notamment par son entrée en guerre en 1914. En conséquence, la France et la Grande-Bretagne établiront un partage du Moyen-Orient en 1916, connu sous le nom des Accords Sykes-Picot, les représentants des deux pays.

3 La déclaration Balfour est une lettre ouverte présentée par Arthur Balfour, ministre des Affaires étrangères britannique, le 2 novembre 1917. Elle promet aux sionistes la possibilité d’établir un foyer national juif en Palestine. En réalité, elle a été rédigée par le mouvement sioniste.

4 La résolution 181 (II), votée par l’Assemblée générale le 29 novembre 1947.

5 Henry Laurens, La question de Palestine, tome 2, Paris, Fayard, 2002, 703 p.

6 La résolution 194 (III), votée le 11 décembre 1948, fait suite aux préconisations du médiateur des Nations unies envoyé en Palestine et en Israël afin de trouver une solution à l’impossibilité d’appliquer la résolution 181 (II).

7 Ilan Pappe, La guerre de 1948 en Palestine, aux origines du conflit israélo-arabe, Paris, La Fabrique, 2000, 384 p.

8 Avi Shlaïm, Collusion across the Jordan : King Abdullah, the Zionist movement and the Partition of Palestine, Oxford, Clarendon Press, 1988, 676 p.

9 Le Monde du 15 septembre 1949.

10 Neil Caplan, The Lausanne Conference, 1949. A Case Study in the Middle East Peacemaking, Tel Aviv, Tel Aviv University, 1993, 176 p.

11 Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient.

12 Milton Viorst, Reaching for the Olive branch. UNRWA and Peace in the Middle East, Washington, Middle East Institute, 1989, 128 p.

13 Sandrine Mansour-Mérien, L’histoire occultée des Palestiniens, 1947-1953, Toulouse, Privat, 238 p.

14 Don Peretz, Palestinians, Refugees, and the Middle East Peace Process, Washington, United States Institute for Peace Press, 1993, 133 p.

15 Sami Hadawi, Bitter Harvest, Palestine 1914-1979, New York, The Caravan Books, 1979, 326 p.

16 Nur Masalha, Ard Akhtar wa ‘arab aqal, Beyrouth, Institut des études palestiniennes, 1997, 331 p.

17 Résolution 242 du Conseil de sécurité, 22 novembre 1967.

18 Résolution 338 du Conseil de sécurité, 22 octobre 1973.

19 Edward Saïd, The question of Palestine, London, Routledge & Kegan Paul, 1980, 273 p.

20 Bichara et Naïm Khader, Textes de la révolution palestinienne, 1968/1974, Paris, Sindbad, 1975, 350 p.

21 Résolution 2535 (XXIV) de l’AGNU, 10 décembre 1969.

22  <https://unispal.un.org/UNISPAL.NSF/5ba47a5c6cef541b802563e000493b8c/a238ec7a3e13eed18525624a007697ec/$FILE/French.pdf>.

23 Ce comité a été créé suite au vote à l’Assemblée générale de la résolution 3376, le 10 novembre 1975.

24 Bichara et Naïm Khader, op. cit.

25 Discours de Yasser Arafat, président de l’OLP, devant l’Assemblée générale.

26 Le mur qui se construit en Palestine a été présenté par le gouvernement israélien comme une réponse aux attentats suicides, et comme un mur de frontière. En réalité, ce mur, qui fera 709 km une fois terminé, dont la plus grande partie est construite à l’intérieur du territoire palestinien (85 %), vise à confisquer environ 50 % des terres et à s’accaparer les réserves naturelles d’eau. La Cour internationale de justice a demandé le démantèlement du mur, jugé illégal, dans son avis du 9 juillet 2004.

27 L’imbrication des trois zones rend quasi nulle une souveraineté réelle, même sur les zones A et B. Nous pouvons mettre en parallèle ce découpage totalement ingérable avec celui fait lors du plan de partage en 1947 en huit zones.

28 Résolution 2334 (2016).

29 <https://www.un.org/unispal/history/origins-and-evolution>.

30 Résolution ES.10/19 de l’Assemblée générale de l’ONU, 21 décembre 2017.

31 <https://www.un.org/unispal/history/origins-and-evolution-of-the-palestine-problem/part-i-1917-1947/>.


Référence papier

Sandrine Mansour, « L’ONU et les Palestiniens : de l’ambiguïté à l’impuissance », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 142 | 2019, 19-36.

Référence électronique

Sandrine Mansour, « L’ONU et les Palestiniens : de l’ambiguïté à l’impuissance », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 142 | 2019, mis en ligne le 01 juillet 2019, consulté le 23 juillet 2020.URL : http://journals.openedition.org/chrhc/10413

Source :

 

L'ONU et les Palestiniens : de l'ambiguïté à l'impuissance

The history of Palestine is closely linked with the history of international law. The Israeli-Palestinian conflict, born during the creation of Israel in 1948, and during the Israeli-Palestinian wars, caused many UN meetings, UN resolutions, without any concrete solution on the field.

https://journals.openedition.org

 

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